Les Chevaliers d'Apollon

Les Chevaliers d'Apollon

Vol 1. Morceaux choisis

 

Si vous avez envie de savoir quelles types d'aventures vivent Maria et ses amis, voici quelques morceaux choisis :

 

Sinon, vous pouvez télécharger ICI un extrait des Chevaliers d'Apollon. 

 

Expérience verdienne à Valencia

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                 "Une fois la lumière éteinte, l’ambiance changea immédiatement et le rideau se leva sur un tout autre décor. Le metteur en scène avait reconstitué les splendeurs de la République de Gênes. Simone Boccanegra avait été en effet le Doge d’une des plus riches cités d’Italie et la principale rivale de Venise au quatorzième siècle. Sols et colonnes de marbre, costumes dorés, manteaux de pourpres, armures étincelantes, un foisonnement de couleurs et de luxe, au service d’une des plus belles musiques jamais composées Le grand solo de Boccanegra, pendant lequel le Doge, dans la grande salle du Conseil de Gênes, appelle les factions rivales de la ville à cesser de s’entredéchirer, fut interprété par Domingo de manière bouleversante. Maria avait l’impression que chaque inflexion, chaque respiration, chaque vibration sonore la touchaient directement au cœur. Tout le public, dans un silence concentré,  semblait vibrer en harmonie avec la voix large et chaleureuse du chanteur. Quand le chœur, pris par la puissance de conviction de Boccanegra, enchaîna alors sur le même thème et que s’éleva par dessus le timbre énergique du ténor et la voix éthérée de la soprano, Maria fondit en larmes. C’était de telles expériences qui lui donnaient envie de vivre et d’arpenter l’Europe. Quand le chœur s’acheva doucement sur un délicieux trille de la soprano, toute l’énergie positive que la salle avait accumulée éclata dans des applaudissements frénétiques et ce n’est qu’au bout de plusieurs minutes que le chef d’orchestre put enfin faire signe au ténor de poursuivre l’action.

               La deuxième partie fut tout aussi riche d’émotions fortes. Le grand duo entre Boccanegra, le baryton, et son beau-père Fiesco, un splendide rôle de basse verdienne, laissa Maria toute frémissante. L’histoire de ces deux hommes, presque des vieillards pour l’époque, réconciliés au terme d’une vie de haine et de désespoir, aurait pu paraître pathétique si elle n’avait pas été servie par des mélodies d’une tendresse extrême. Maria, entre deux sanglots étouffés, ne put s’empêcher de penser que Verdi était vraiment un grand maître du chant. Le génie avec lequel il avait réussi à faire vivre ces deux voix graves qui se répondaient et se mêlaient, sur deux textes différents, ne pourrait plus jamais être égalé.

               À la fin du duo, Domingo s’écroula. La salle entière frissonna, tremblant presque pour la santé du chanteur. Mais Boccanegra devait mourir, empoisonné, et s’il était quelque chose que Domingo savait faire mieux que tous les plus grands acteurs, c’était bien mourir sur scène. Le ténor et la soprano n’eurent que le temps de le rejoindre pour son agonie. Boccanegra expira dans les bras de sa fille, et lorsque chœur et orchestre eurent exprimé leur désespoir, la salle conserva quelques instants un silence religieux, quelques secondes hors du temps pendant lesquels le public se recueillait dans une seule émotion commune.

Puis ce fut l’explosion de joie, ce cadeau fait par le public à ceux qui ont su les faire vibrer, une vague de cette énergie que les chanteurs leur ont offerte et que la salle leur rend sous forme d’applaudissements et de bravos frénétiques. 
               Maria, encore toute époustouflée par ce qu’elle avait vu et entendu, n’attendit pas la fin des saluts.  Elle avait profité de l’entracte pour repérer l’entrée secrète des coulisses à l’intérieur du bâtiment et avait bien l’intention d’aller témoigner son admiration à celui que l’on appelait désormais le Maestro."


La Matrice

 

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Marsyas et Lilith :

 

« Je te rassure, je ne suis pas un Illuminatus, et je n’ai pas fait allégeance à je ne sais quel démon pour avoir richesse et puissance. Ce que je cherche, c’est la connaissance, avec un grand C. Je veux savoir ce qu’est réellement le monde qui nous entoure, que nous voyons, et surtout, celui que nous ne voyons pas.

– Et moi, qu’est-ce que je viens faire là-dedans ?

– Nous percevons le monde à travers nos cinq sens, tu es d’accord ? Eh bien, je veux utiliser l’énergie de ta musique pour les exacerber. Tu sais que les ondes musicales ont un pouvoir immense sur le corps. Si tu les utilises efficacement, tu peux mettre le corps dans un certain état vibratoire qui va décupler tes facultés et faire littéralement exploser les barrières. Vois-tu, ce que tu perçois autour de toi, ces montagnes, cette eau, ce verre, tout cela n’existe pas, ce n’est qu’une image créée par ton cerveau à partir des informations très partielles que t’envoient tes sens. »

Lilith regarda son verre avec inquiétude et le reposa sur la table. Marsyas semblait s’échauffer de plus en plus.

« En fait, ce corps, tes sens, tout cela n’est qu’une prison, un mur. Je crois en la puissance de la musique, car elle parle directement à notre corps et peut l’inciter à dépasser ses limites,  elle est à l’origine de la Création, elle est puissance de vie et de mort. »

Maintenant, Lilith le regardait vraiment avec effroi, se demandait s’il n’était pas sous LSD."


A l'opéra de Munich

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La loge était plutôt étroite. À gauche, un miroir avec une petite table couverte de produits de maquillage. En face, un petit piano d’étude en bois. Elle s’approcha : sur le pupitre, une partition chant-piano couverte de commentaires en diverses couleurs. À droite, un porte-manteau avec différents costumes de scène et une porte ouvrant sur une petite douche.

"Jusqu’ici rien d’anormal", se dit-elle. Évidemment, que pensait-elle trouver, une confession scotchée au miroir ? Des marques de sang sur les touches du piano ? Malgré tout, se retrouver là où sa star préférée, son ténor, avait stressé, travaillé, au milieu de son univers, était terriblement exaltant ! Elle se rapprocha du porte-manteau, pour observer de plus prêt les costumes, ceux qu’il avait portés, dans lesquels il avait chanté, avant de se souvenir brusquement du but de son intrusion. Elle enquêtait sur un meurtre, ce n’était pas le moment de s’extasier. 

 

Richard Wagner

 

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Le Maître tituba brusquement, laissant échapper un intense gémissement, submergé par des crampes abdominales qui devenaient insupportables. Il s’affala épuisé dans le fauteuil et ouvrit son col. Oppressé, il étouffait.  Sa poitrine le faisait de plus en plus souffrir, et malgré le froid, il sentait la sueur couler le long de ses temps.  Une nouvelle crampe le fit hurler de douleur. Il s’écroula. Il crut alors entendre la voix paniquée de Cosima et sentir la chaleur d’un corps se pressant contre le sien.

La douleur s’évanouit alors et une intense béatitude l’emplit tout à coup. Il réalisa alors qu’il voyait l’ensemble de la scène d’un point de vue tout à fait nouveau. Il avait l’impression de voler. Il pouvait très nettement distinguer de haut Cosima serrant désespérément un corps inerte dans ses bras. Il ressentait au fond de son âme l’immense détresse qui étreignait son épouse. Il aurait tant voulu pouvoir la rassurer et lui exprimer sa tendresse, mais cet amour intense ne pouvait s’exprimer par des mots. Il s’imposait à lui comme une musique emplissant brusquement son âme. Il la connaissait bien. C’était le final de son Tristan. Il eut alors la certitude de ce qu’il avait jusqu’alors pressenti : l’amour absolu qu’il ressentait désormais ne pouvait s’exprimer autrement que par la musique et ne pourrait réellement exister qu’à travers elle.

Une lumière douce et intense apparut alors. Elle semblait onduler comme la surface d’une mer limpide. Cette eau semblait lui faire signe. Elle l’attirait irrésistiblement. C’était un tunnel dans lequel, sans hésiter, il s’engagea. Il savait que là, l’univers lui parlerait enfin son langage et qu’il en percevrait enfin l’ultime perfection. Il comprit que cette eau était musique, que la musique était ondes. Elle englobait tout l’univers. Elle était le souffle vibrant du monde, et dans les flots de ces ondes, enfin libéré,  il se fondrait, fusionnant dans le grand Tout.


Inhibée sociale

ppbe.jpg         En se remémorant ces sombres souvenirs, Maria sentit de nouveau son estomac de nouer. Elle s’allongea sur le lit et ferma les yeux. À l’époque, elle avait été torturée entre la volonté d’affirmer son individualité et l’impératif « d‘intégration » que lui imposait la société moderne. La fin de sa scolarité l’avait légèrement libérée de ce fardeau, mais malheureusement, elle était encore exclue de la majorité des lieux classiques de socialisation. Un obstacle qui aurait parut bien minime à beaucoup, se levait toujours en travers de sa route : elle ne pouvait pas supporter les musiques dites « actuelles », ce qui englobait de manière générale toutes les musiques dont les basses toujours plus rythmées et  tonitruantes constituaient la principale composante. Ce bruit infâme était omniprésent : au cinéma, dans les magasins, à la télévision et surtout, dans toutes les soirées et événements festifs. Elle n’avait pas réussi à déterminer si cet effet était psychologique ou physique, mais ce qu’elle percevait uniquement comme des sons assourdissants provoquait en elle un malaise inexplicable. 

               Cette faiblesse avait fait naître en elle un sentiment d’inadaptation au monde et à la société. Mais ce qui représentait pour elle le comble de l’humiliation, c’était cet ordre ultime intimé depuis le lycée, cet impératif suprême qui semblait réguler toute la société contemporaine : « sois ouverte, sois tolérante ».

               Était-ce un effet secondaire du traumatisme fasciste de la guerre ? Ouverture et Tolérance étaient devenues les uniques vertus phares sans lesquelles on ne pouvait espérer survivre dans le monde occidental. Il fallait en permanence faire preuve de ces qualités essentielles dans tous les domaines de la vie publique et privée, et en priorité dans les secteurs devenus hautement politiques de la culture et de la musique.

               Les plus pervers de tous ces bien-pensants étaient même fiers de faire preuve d’une capacité à s’intéresser à la musique classique, témoignage de leur « ouverture d’esprit », de leur effort louable pour apprécier « tous les styles » artistiques. Ces déclarations avaient généralement pour conséquence d’accentuer du même coup le sentiment d’isolement de Maria qui, très sincèrement, ne parvenait pas à comprendre que l’on puisse aimer à la fois Christophe Maé, Metallica et Verdi. Comble de l’horreur, même Julien fêtait ses anniversaires sur fond de musique électro. Elle en avait fait la triste expérience et avait dû s’enfuir au milieu de la fête pour ne pas finir aux urgences. À l’époque actuelle, un tel handicap lui interdisait donc toute soirée un tant soit peu festive et elle en souffrait intérieurement. 


« La musique qui ennoblit l’esprit est d’une qualité supérieure à celle qui séduit simplement les sens. »

« Si tu veux contrôler le peuple,

commence par contrôler sa musique. »

Platon

 

Paris, le 30 juillet

Maria se servit un verre de vin du cubi de trois litres de Côtes-du-Rhône qu’elle venait de rapporter de Monoprix et s’installa en maillot de bain rose sur son petit balcon. Elle avait également apporté un petit ordinateur portable qui lui permettait de surfer tout en profitant du soleil. Elle avait l’intention de continuer ses recherches sur les élèves potentiels de Friedelind Wagner, même si ce qu’elle avait fourni à Wolfgang jusque là ne s’était pas avéré très fructueux. Elle commença pas ouvrir sa boîte Gmail et repéra, au milieu de la publicité et des lettres d’informations, un email plutôt surprenant : 666@yahoo.com, « Suite à notre discussion à Bayreuth ». Visiblement c’était le fameux Marsyas, et il avait le sens de l’humour. Choisir le chiffre de la Bête comme boîte email, c’était plutôt amusant. 


Lilith

 

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Marsyas posa son verre et s’installa confortablement au fond d’un des larges fauteuils de velours noir.

               « Maintenant que tu t’es un peu détendue, j’aimerais qu’on fasse le point sur le clip, pour être sûrs qu’on est sur la même longueur d’onde. »

Lilith acquiesça, sans pour autant bouger d’un pouce de son canapé.

               « Alors déjà, je commence tout seule sur mon mantra.

               – Oui, c’était d’ailleurs une excellente idée.

               – J’ai lu ça quelque part. Ça paraît con « Abracadabra », mais c’est une incantation très ancienne qui permet d’invoquer les puissances paranormales, ça veut dire « je crée sur mes paroles ».

               – « Je créerai d’après mes paroles », rectifia Marsyas, « évra kedebra » en araméen. C’est ce qu’on appelle un mot de pouvoir, un vocable sacré qui possède une énergie née du son. Il faut le prononcer à haute voix pour qu’il fonctionne. C’est presque une manière de copier l’action de Dieu en utilisant le pouvoir du verbe pour créer.

               – Là j’ai pas tout pigé … Bref, si je dis « abracadabra » au début et à la fin de la chanson, ça veut dire que je veux donner vie et réalité à ce que je suis en train de dire ?

               – C’est cela oui.

               – Alors, comme c’est une histoire d’amour passionné, c’est exactement ce que je veux ! ajouta-t-elle en se resservant un verre de champagne.

               – Pourquoi, est-ce que tu n’es pas déjà comblée ? demanda Marsyas en passant la main dans ses épais cheveux bruns. »

Miss Lilith ne répondit pas.

               « Donc, reprit Marsyas avec indifférence, que fais-tu une fois que tu as dit ton mantra ?

               – Je sors d’une espèce de cercueil blanc en titubant et je chante ma première strophe qui parle de mon désir d’amour, dans mon vêtement en écailles dorées, avec un chat blanc dans les mains.

               – En fait c’est un incubateur, et c’est plutôt un lapin blanc, bien qu’un chat puisse également convenir.

               – Je chante que je veux trouver un super amour, un mec parfait, si génial qu’il n’en existe pas dans ce monde. Et quand je l’aurai trouvé, je serai tellement heureuse que le monde me paraîtra transfiguré.

               – N’oublie pas, quand tu sortiras de l’incubateur, il faudra que tu aies l’air en transe, comme possédée par une entité surnaturelle.

               – Si tu veux. Ensuite apparaîtra mon Dieu, vêtu d’or comme Apollon, avec un diadème sur la tête et une immense pierre verte. J’ai vu le figurant d’ailleurs, il est sexy. Super beau blond. Alors là, j’exécute une danse « lascive » comme tu dis pour lui plaire et lui prouver que je sais baiser. Par contre, je capte pas pourquoi ya d’autres mecs.

               – C’est une sorte d’assemblée de Dieux. Ton personnage doit être vendu aux enchères, et c’est le beau blond qui va t’acheter.

               – Là, je me mets à marcher à quatre pattes vers lui.

               – Il t’a achetée, il est ton maître, le côté soumis, ça plaît pas mal, fit Marsyas.

             – Mon dernier couplet parle de l’extase sexuelle. J’adore la manière dont tu veux le mettre en scène : un twerk sexy, ce mec canon étalé sur un lit rouge, et des têtes de boucs, ça fait grave diabolique !

               – Il y a un peu de ça.

               – Alors, le lit s’enflamme, mon harder disparaît et je deviens une sorte de déesse qui porte un môme dans ses bras avant de se transformer en cygne noir. Mais pourquoi un gamin ? Et un cygne noir ?

               – Tu as été fécondée par ton Dieu et vas donner naissance à une nouvelle humanité. Le cygne noir est un animal noble et rare.

               – Ensuite je finis le clip avec mon incantation, en dessinant trois fois avec mes mains le signe six.  Comme je te disais, j’ai pas tout capté.

               – Ce n’est pas grave, fit Marsyas avec une certaine impatience. Tu as compris l’essentiel. Je te conseille de te reposer maintenant. Tu dois pouvoir danser avec énergie demain, pour plaire à ton Dieu ! fit-il avec un clin d’œil.

               – Parfois, je me demande si je ne vais pas finir barge avec toutes tes histoires. Au fait, ajouta-t-elle alors que Marsyas s’apprêtait à partir, t’as pu résoudre cette énigme, ce truc que ta reum t’a donné avant de mourir ?

               – Quel truc ? fit Marsyas, d’un air distrait.

               – Mais si, tu te souviens, tu étais tout retourné. Tu m’as dit qu’elle t’avait laissé un doc chelou et que t’aurais peut-être plus d’infos chez un vieux en Autriche.

               – Ah oui, et bien finalement, ça n’a rien donné. Je crois que ma mère était un peu gâteuse vers la fin.  Bonne soirée ! »


 

Calèches

 

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       Wolfgang n’avait jamais remarqué à quel point les moyens de locomotion antiques pouvaient manquer de confort. Ces fiacres n’étaient sans doute pas faits pour rouler à pleine allure sur des rues pavées. Le chanteur tenta de rassembler tous ses vieux souvenirs d’équitation mais se rendit vite compte que monter un double poney dans un manège et conduire une calèche dans un centre ville bondé étaient deux choses relativement différentes. Heureusement, les deux chevaux blancs étaient plus nerveux et rapides que la moyenne de leurs congénères et parvinrent rapidement à gagner du terrain sur la voiture qu’ils poursuivaient. (...)

Les deux voitures, désormais à quelques mètres l’un de l’autre, traversèrent de justesse une série d’arcanes et débouchèrent sur la Kapitelplatz. Peu habile au maniement des rênes, Wolfgang manqua de justesse de s’écraser contre l’immense globe doré tandis que Lilith évitait en souplesse les rangs de chaises et le grand écran de la télévision autrichienne et dirigeait son engin en direction de l’arrière de la cathédrale. Après avoir évité de justesse une plongée dans l’immense fontaine baroque flanquée de deux énormes saules pleureurs, Wolfgang parvint à obliger ses équidés à suivre la trajectoire de Miss Lilith.

Quand il déboucha sur la Residenzplatz, de l’autre côté de la cathédrale, la jeune femme avait déjà guidé ses deux frisons noirs vers le nord, en direction du pont qui lui ferait quitter la vieille ville. Toujours sur ses talons, Wolfgang évita la statue de Mozart ainsi que les touristes qui l’environnaient et regagna un peu de terrain. Traversant la rue au feu vert, la calèche de Marsyas s’engagea à plein vitesse sur la passerelle de bois qui surplombait le fleuve, manquant de jeter à l’eau plusieurs piétons et cyclistes effarés. Mais lorsque Wolfgang déboucha sur la rue, s’apprêtant à suivre le même chemin, la circulation avait déjà repris. À la vue de l’énorme camion qui leur arrivait dessus, les lipizzans se cabrèrent de panique et commencèrent à s’emballer.

Le chanteur vit avec consternation Marsyas disparaître sur l’autre rive en emportant son otage. 

 


 

Arthur

 

" Si nous résumons, intervint Henri, toujours rationnel, nous avons des druides qui connaissent des formules magiques pour communiquer avec de mystérieux Anciens, Atlantes, extraterrestres ou vampires. Il y a aussi un endroit qui serait lié au roi Arthur.

– Et si l’on se réfère aux passages précédents, je pense que c’est une indication géographique pour la fameuse porte sensée nous porter « au delà des limites de ce monde », compléta Wolfgang.

– Eh bien voilà, tout s’éclaircit, fit Henri.

Les amis se regardèrent d’un air dubitatif et éclatèrent de rire. Tout était en effet d’une obscure clarté. Seul Wolfgang resta plus sombre. Il ne pouvait oublier que ce texte absurde avait causé la mort de son meilleur ami. Maria, comprenant son désarroi, posa tendrement la main sur son épaule et lui sourit gentiment.

– Reprenons Wolfgang. As-tu d’autres idées ? Quelle est cette histoire de Satan ?

– Ça, je gage que c’est un sujet sur lequel Marsyas aurait pu nous éclairer, fit-il entre les dents. Un lac, un château, le fils de Satan. Non, je ne vois pas.

Le chanteur se sentit tout d’un coup très las.

– Je vous propose de reprendre tout cela plus tard. Je crois que j’ai eu ma dose d’absurdités pour aujourd’hui. » 


Bayreuth 

 

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Wolfgang prit la parole.

« Je suis vraiment content de rencontrer un ancien élève de Heinz. Je me rappelle très bien avoir entendu parler de toi. Il ne comprenait pas vraiment pourquoi tu étais parti. L’as-tu revu depuis ?

– Malheureusement non… J’aurais bien voulu pourtant, mais tu sais, on croit toujours qu’on a le temps et puis… Quand j’ai appris sa mort par les journaux, cela m’a tout de même fait un choc. C’est assez incompréhensible. N’ont-ils pas dit qu’il avait été assassiné ?

– A priori oui, mais la police n’a aucune piste.

– Et toi, qu’en penses-tu ? L’as-tu vu récemment

Wolfgang regarda Maria d’un air interrogatif comme pour lui demander conseil quant à la conduite à adopter.

En l’absence de réponse claire, Wolfgang se lança :

« Le fait est qu’il était un peu stressé par une série d’appels anonymes.

– Des appels anonymes ? En as-tu parlé à la police ? demanda Marsyas très intrigué.

– Non. »

En fait, Wolfgang n’y avait même pas pensé.

– Et t’a-t-il dit à quel sujet ?

Le chanteur prit une longue inspiration mais un regard insistant de Maria le dissuada d’approfondir son explication.

– Les appels étaient assez abscons, finit-il par dire avec un petit mouvement d’épaules. »

Marsyas eut un geste brusque et renversa son verre de vin blanc sur la robe de Maria. La jeune femme poussa un petit cri et se mit à rire. Elle tenta de réconforter l’agent qui se confondait en excuses.

«  C’est moi qui fais cela d’habitude, dit-elle. Mais généralement, c’est avec du vin rouge ! »

L’incident ayant un peu détendu l’atmosphère, le petit groupe décida de finir l’entracte par une visite des coulisses. Henri et Maria tenaient absolument à voir la fosse d’orchestre.

(...)

Maria entra dans la fosse encore vide, Henri et Rainer la suivaient avec une émotion mêlée de respect. C’était une règle à Bayreuth : on ne voyait jamais le chef d’orchestre ! Pour Rainer qui était originaire de cette ville et avait grandi dans la plus pure tradition wagnérienne, entrer dans la fosse couverte, c’était pénétrer dans le Saint des Saints.


Nostalgie viennoise

 

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"Le vieux professeur se leva avec peine du siège de son piano. Cette petite heure de musique l’avait détendu. Il avait ressorti de vieux morceaux de son enfance : un impromptu de Schubert, une sonate de Mozart, la première ballade de Chopin et ses doigts avaient redécouvert le bonheur de faire vibrer le bel instrument. Voilà bien des années maintenant que Heinz von Würzburg avait définitivement dit adieu au chant et à la scène, laissant aux plus jeunes le soin d’incarner les héros qu’il aimait, Roméo, Werther… Il était retourné à son premier amour, ce piano jadis délaissé au profit de cet instrument encore plus exigeant qu’est la voix humaine.

               Il avait également trouvé depuis un autre bonheur, celui d’écouter, former, modeler des voix nouvelles. Il ne choisissait que des élèves doués d’un don vocal certain, et qui, surtout, partageaient sa passion pour la musique.

               Ils étaient nombreux ceux qui, enivrés par les sensations provoquées par le chant, et désireux de briller sur les planches, décidaient de se lancer dans une carrière de chanteur d’opéra. Beaucoup n’avaient aucune éducation musicale, aucune connaissance de l’opéra, et surtout, s’en moquaient totalement. Ils  n’hésitaient pas, en sortant de leur cours de chant, à s’étourdir « d’électro pop », ou tout autre musique que le professeur aurait bien été incapable de nommer et que la nouvelle génération semblait englober sous le qualificatif très approprié de « son ».

               Le professeur ouvrit sa fenêtre en grand. Le printemps était doux et il aimait écouter les bruits de la ville. Il entendit immédiatement son voisin du dessus, le jeune violoniste virtuose qui répétait en prévision de son concert du lendemain au Musikverein, la plus belle salle de concert de Vienne. Plus loin, une cantatrice s’essayait à divers types d’exercices vocaux. Décidément, Vienne était encore un asile pour les musiciens et mélomanes.

               En face de lui, de l’autre côté de sa rue, au coin de Krügerstrasse et Seilerstätte, on avait aménagé la Haus der Musik, la maison de la musique. Le professeur n’était pas persuadé de l’utilité de cette institution. Elle rendait hommage à des personnages qui n’y avaient pas leur place.

               Décidément, ce soir, Heinz se sentait accablé et angoissé. L’appel qu’il avait reçu le matin même continuait de l’obséder. La voix rauque lui avait semblé sortir d’outre-tombe. L’étrangère était certainement aussi âgée que lui, peut-être même plus. Pourquoi s’intéressait-elle au Tiers, et surtout, comment savait-elle ? Elle était peut-être assez vieille pour avoir eu à l’époque, un lien avec les Trois. Il détenait son propre Tiers depuis bien trop longtemps. Il aurait déjà dû le confier à quelqu’un d’autre, quelqu’un de plus jeune, plus vigoureux, qui saurait le mettre en lieu sûr, et qui comprendrait peut-être.

               Mais à qui ? Les jeunes générations étaient si futiles, si détachées du passé, elles lui étaient si étrangères." 


LES CHEVALIERS D'APOLLON

JULIA LE BRUN

DATE D'EDITION : 20/06/2016

ROMAN en français

ISBN : 9781532775079

 

 



12/05/2016
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