Les Chevaliers d'Apollon

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L'Escapade : Quand le boum-boum détruit Wagner

Extrait de l'Escapade 1. Mon héroïne a subi des mésaventures et tente de se consoler chez elle, alors que son amant, le ténor Wolfgang, est loin d'elle... mais le cauchemar continue...

"Elle enfila son confortable pyjama d’intérieur rose bonbon et ouvrit le frigo en quête de quelque chose de comestible : magret de canard fumé, camembert au lait cru très odorant, salade prélavée que l'on pourrait arroser d'une bonne dose d'huile d'olive : c’était parfait, son menu traditionnel du soir. Une bouteille de mousseux y traînant également, elle se servit un kir royal avant de se précipiter, verre en main, sur la chaîne stéréo dans laquelle se trouvait toujours le disque de Wolfgang.
Tandis que s’élevaient doucement les premiers accords du prélude de Tristan und Isolde et que l’alcool réchauffait en même temps son estomac, Maria sentit progressivement la paix revenir en elle. Elle s’allongea sur sa méridienne et ferma les yeux pour mieux savourer les accents de l’excellent Orchestre de la Radio de Munich et respira à pleins poumons. Alors que la longue phrase musicale du Prélude s’étirait et prenait de l’ampleur, elle se laissait porter par la musique envoûtante. Les ondes sonores s’emparaient de son corps et de son âme.
Elle sursauta tout à coup, le souffle coupé, et se redressa brusquement. Son champ sonore venait soudainement d’être parasité par un intrus… un intrus qu’elle ne connaissait malheureusement que trop bien et qui venait l’envahir jusque dans son intimité : c’était ce cauchemar absolu de nos sociétés contemporaines, le rythme grave, régulier et fatal des basses d’une de ces musiques actuelles dont la mélodie ne parvient que rarement aux oreilles mais dont le « boum-boum » lancinant pouvait percer les plus épaisses cloisons. Maria tenta d’augmenter le son de sa chaîne, mais elle savait bien que rien ne pourrait arrêter les vibrations impitoyables qui commençaient déjà, comme d’habitude, à déstabiliser son rythme cardiaque. Elle se souvint alors avec désespoir qu’on était samedi soir, que son voisin avait pris l’habitude d’inviter des amis, et qu’aucune soirée considérée comme festive ne pouvait désormais se passer de ce « boum-boum »… L’alcool aidant, le bruit n’allait forcément qu’empirer.
Voyant que Wagner ne pouvait lutter et que la confrontation des deux était en train de lui donner des palpitations, elle se résigna à éteindre sa chaîne.
Que faire ?
Sortir ? Ses seuls amis étaient tous loin d’elle… Outre-Rhin. Elle tenta de lancer sa série Netflix du moment, une histoire d’Ecossais voyageant dans le temps, agrémentée d’un superbe héros roux bien bâti, en tartan, et qui roulait les "r" comme Wolfgang lorsqu’il chantait en français. Mais le « boum-boum » couvrit immédiatement la mélopée celtique du générique, et elle n’était pas trop d’humeur à supporter la scène de viol qui ouvrait le nouvel épisode. De dépit, elle se jeta sur Facebook. Elle trouverait bien quelques un de ses amis virtuels pour compatir à ses malheurs. Elle était la première à trouver ces effusions virtuelles parfaitement vaines et futiles, mais malgré tout, cela la défoulait et lui permettait de créer quelques contacts, elle qui était naturellement si sauvage. Elle se déchaîna contre le bruit provoqué par son voisin, une situation vécue par bien des gens, pour laquelle elle ne manquerait pas de trouver un peu de compréhension réconfortante. Mais comme elle fit l’erreur de mettre son statut en « public », elle n’obtint pas réellement les réactions espérées. Certains lui suggérèrent de se faire inviter par son voisin et d'en profiter pour se décoincer et s’intégrer à l’éventuelle partouze qui pourrait en découler, d’autres lui dirent de mettre des boules Quies et de se taire… Après s’être finalement fait traiter de petite peste coincée intolérante et arrogante, elle finit par éteindre brusquement son ordinateur. Elle tenta une dernière fois de joindre Wolfgang — mais où pouvait-il donc être passé à onze heures du soir ? Il n’y avait rien à faire à Munich à onze heures du soir ! — puis elle se jeta sur le lit et éclata en sanglots."

 

L'Escapade, Julia Le Brun

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23/07/2024
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