Les Chevaliers d'Apollon

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L'Escapade : Metoo à l'opéra (1)

L'Escapade : mon héroïne Maria, dans le RER, tente d'oublier l'absence de son cher amant Wolfgang, en surfant sur son téléphone portable...

"Elle passa rapidement sur tout ce qui était par trop déprimant : récits d’agressions, de viols, conseils sexuels destinés aux enfants, nouvelles installations d’éoliennes, Président expliquant aux étrangers que la France était un pays épouvantablement raciste, et se rendit finalement sur la page d’un journal musical américain. À la lecture du titre de l’article qui s’affichait à la Une, « Une star lyrique accusée de harcèlement sexuel », elle fronça les sourcils et cliqua sur le lien qui redirigeait vers un grand quotidien d’Outre-Atlantique. Sentant son sang se glacer et le souffle lui manquer, elle fit immédiatement taire la valse de la Fantastique qui lui sembla tout à coup totalement inappropriée.
« Le célèbre ténor allemand Wolfgang von Schwangau accusé de harcèlement »
Le journal révélait avoir reçu plusieurs témoignages anonymes d’artistes affirmant avoir été victimes de harcèlement d’attouchements et tentatives d’intimidation de la part du chanteur. Une seule d’entre elles, Lettie Smith, avait osé parler à visage ouvert, les autres ayant eu, selon le journal « peur des représailles d’un homme influent dans le milieu ».
Maria resta bouche bée. Lettie Smith ? Impossible…
Du fin fond des couloirs du RER, la connexion était lente et l’image d’illustration mettait du temps à s’afficher. Quand le visage de Wolfgang apparut finalement, Maria secoua la tête avec stupéfaction : c’était l’image d’un homme sombre, grimaçant, semblant déjà ployer sous le poids de sa faute. Ils étaient parvenus à trouver la photo la plus laide possible de son beau chanteur. La suite de l’article était une suite de faits supposés tous plus épouvantables les uns que les autres : mains baladeuses, invitations à dîner, sourires intempestifs remontant pour les plus anciens à plus de vingt ans. Tout cela était absurde. Mais Lettie Smith… ses accusations étaient plus graves puisqu’elle affirmait qu’il lui aurait promis de l’aider dans sa carrière en échange de faveurs sexuelles. Elle se serait alors sentie obligée de céder pour obtenir le rôle de la princesse Amneris dans Aïda de Verdi au festival de Salzbourg, un rôle qu’elle avait d’ailleurs interprété « brillamment » précisait le journal, aux côtés de Schwangau. Et puis, comme elle avait finalement repoussé le ténor pour partir avec un baryton russe, « l’amour de sa vie », l’Allemand aurait tout fait pour nuire à sa carrière.
Ces graves accusations ne manquèrent pas de susciter chez Maria une certaine perplexité horrifiée, puisqu’à cette époque, Wolfgang était déjà son amant, et qu’elle-même avait eu l’occasion de rencontrer cette Lettie Smith. Elle se rendit compte que l’ongle qu’elle se rongeait depuis un instant commençait à saigner, jeta un œil au panneau d’affichage, qui indiquait toujours quarante minutes d’attente depuis dix minutes, puis se replongea dans son téléphone, le cœur battant la chamade.
Bien sûr, le journal américain ne faisait que relayer des témoignages sans fondement, mais il n’allait pas tarder à devenir évident que, pour les Américains, cet article équivalait à une accusation en bonne et due forme auprès du plus sérieux des tribunaux. Cela lui sauta aux yeux quand elle commença à lire les premières réactions en commentaires sur Facebook : en quelques minutes, les mélomanes américains s’étaient déchaînés, et si l’article « officiel » du grand journal américain l’avait laissée interloquée, les commentaires sur Facebook lui firent immédiatement bouillir le sang :
— « Oui, cela se sait depuis longtemps de toute façon. Tout le monde s’en doutait mais personne n’osait rien dire »
— « Alors, même à l’opéra, il y a des obsédés qui se croient supérieurs à la loi. Pourriture ».
— « J’espère bien que personne n’embauchera plus jamais ce salopard ».
— « Je peux témoigner : je l’ai vu une fois à la sortie des artistes prendre par la taille une femme qui lui demandait un autographe».
Les commentaires s’enchaînaient, tous plus offusqués les uns que les autres. Sur le coup de la colère, Maria commença à répondre, assez vertement. Les réactions ne se firent pas attendre :
— « Après tout ce que ces femmes ont subi, il faut en plus qu’elles se fassent traiter de menteuses ? » s’exclamait l’une. « Ces fans sont vraiment à vomir. »
— « Laisse tomber, c’est une salope française », répondait l’autre…
Les insultes commençant à pleuvoir, Maria quitta le fil, horrifiée, et prit quelques instants pour reprendre ses esprits. Son cœur battait la chamade et elle crut qu’elle allait se sentir mal. Il fallait qu’elle sorte. Elle se précipita en courant dans les escaliers et après une course interminable dans les couloirs et escalators, bousculant des touristes peu pressés, elle déboucha enfin à l’air libre qu’elle respira à plein poumons. Ignorant les regards insistants et les sifflets des vendeurs de drogue, elle sortit de la station. Après avoir fait quelques pas dans la rue pour tenter de calmer ses nerfs — et manqué de se faire renverser par une trottinette trop pressée — elle se réfugia finalement dans une brasserie. Elle avait besoin de faire le point calmement, et pour cela, de boire un verre. Elle tenta d’appeler Wolfgang, en vain. "

Suite au prochain numéro...

 

L'Escapade, Julia Le Brun

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23/07/2024
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